Une nouvelle ère mahoraise s'est ouverte pour moi. Après les doutes et l'effarement de l'arrivée, après les galères financières et le vagabondage de cases en cases, après les hésisations professionnelles; me voilà installé. Après le manque des miens, la séparation, l'isolement et la solitude, me voilà très entouré.
Aujourdhui j'ai ma grande case pour moi tout seul, un contrat qui dure un peu et assez d'argent pour vivre correctement. Plus important encore, j'ai rencontré des amis, un monde s'est crée pour moi, nombreux, variés.
Ici impossible de se plaindre quand on voit les conditions de vie de nos voisins. Mais Mayotte met une grande claque à tous les nouveaux arrivants inexpérimentés comme moi.Malgré tout, c'est un endroit formidable pour s'affirmer, une terre d'opportunité et de rencontres. Comme dans toute expatriation, la rencontre avec une culture aussi diffèrente est le voyage d'une vie, aujourdhui j'aime cet endroit et j'aime les mahorais. Je suis fier quand un bacoko me dit, toi aussi tu es mahorais: "tu vis à Mayotte, donc tu es mahorais". J'ai l'impression d'être d'ici, je sais que ce n'est pas très humble après moins de 7 mois de présence, mais après tout ma vie est ici.
Nicolas, Nayoumi, Didier, Arnaud, Maou, Charlot, Mahmoud, François, Sèverine, Sylvain, Will, Jéjé, Lardon et les autres, ce sont les gens qui m'entourent. La chaleur, les bananiers, les rues des villages,les micros épiceries Mamoudzou, Dembéni, la brousse, le lagon,c'est mon univers.
Ma vie c'est Mayotte.
Attention, pas de confusion possible, je serais toujours un Seynois, mais ma vie est là, j'y suis bien, j'ai enfin l'occasion de le vivre sereinement, j'en profite et je vis des supers vacances, à moitié touriste, à moitié résident.
La rentrée scolaire approche et je vais enfin avoir la formidable possibilité (aussi enthousiasmante qu'effrayante) de pouvoir tenter d'être un enseignant. Je ne suis pas un vrai "capessien", un simple contractuel presque un imposteur, mais voilà je vais enseigner, je vais vivre cette vie là pleinement, en tout cas je vais essayer.
Lentement, j'apprends le shimaoré qui s'inscrit dans mon esprit, petit à petit je m'ouvre ici. Ce n'est pas tellement que je rencontre une culture, c'est simplement que je découvre des gens. Je vis des évènements, l'étroitesse ilienne et tropicale crée une animation bien particulière, on baigne constamment dans une espèce de folie nonchalante.
Les images d'une vie s'imprègnent dans ma rétine avec force, je me remplis, je prends, je m'enrichis et je donne ce que je peux avec mes moyens, mes forces, mes faiblesses et mon orgueil.
Tout ça est magnifique, prenant, d'une joyeuse féroceté, d'une énergie infernale. Mayotte est en mouvement, tu bouges avec elle ou tu pars, alors je remue comme jamais, je me sens vivant et fort.
Sans reproche aucun je vous le dis, malgré mes efforts pour décrire tout ça vous n'avez aucune idée de ce que cela peut représenter quand on s'y plonge pleinement, sans retenue.
Chaque jour sur l'île au parfum est une aventure, une surprise, un pas dans l'inconnu, on ne peut échapper à l'hippocampe, il vous attrappe et vous embrasse si vous résistez, il vous mordra et comme je suis quelqu'unde très affectueux....
Et pourtant !!
Je vous le dis franchement, je sais bien que je peux me tromper mais je sens que "je ne suis pas un prof", je cherche ma voie, je cherche ma place.
Je ressens comme un trou, une absence, un vide. Rien de bien grave ni douloureux, une simple vague dans mon âme, une ondée d'incertitude pimentée d'hésitation. J'ai toujours mon chiffon rouge accroché au coeur, et l'envie de retrouver notre "Mecque". Me retromper dans mon histoire, retrouver les miens et ce que nous sommes, nos valeurs fortes et simples, me cacher au chaud, protégé par ceux que j'aime le plus. Souvent on me demande combien de temps je compte rester, et je réponds invariablement la même chose " 1 jour, une vie, je n'en sais foutre rien"
Gamin je n'avais qu'un seul rêve, qu'une seule ambition "sauver le monde, TOUT le monde" peut être qu'aujourdhui je sais que c'est impossible où dessus de mes capacités, c'est probablement cet "echec" tout relatif qui me pèse.
Je ne sais pas bien pourquoi je raconte tout ça ni où je veux en venir, simplement, maintenant encore plus qu'avant j'ai la sensation d'écrire un roman auquel je ne trouve pas la suite, une forme d'angoisse de la vie blanche.
Nevrotisme narcissique typiquement occidental, amusant à mettre en parallèle avec la culture mahoraise et comorienne en général où, pour faire simple, demain n'existe pas.
Mais c'est ainsi, je cherche la suite alors je me tourne vers mon monde pour avoir des réponses, où est la suite ? Et la suite de quoi ?
Curieux !! non ?
Je suis plutôt heureux pourtant, ça devrait suffir .
Mais le petit blanc est comme ça. Quel boulot, quel lieu, quelle femme, quels amis ? Toujours des questions et des doutes.
Alors on va se contenter de ça pour l'instant avec le sourire que donne une vie pareille
A ces questions, une réponse "je ne sais pas, on verra..."